21 mars 2015

Ca a quel goût une étoile ?

A vrai dire, je ne m'étais jamais posé la question. Et pourtant hier, il a fallu que j'y réponde...

Hier ça n'a sans doute échappé à personne, c'était jour d'éclipse.
Pour un astronome amateur, c'est le genre d'événement qui provoque la prise d'une journée de congé parce que ce n'est quand même pas tous les ans, et puis c'est joli à observer.

J'avais proposé à l'école primaire de mes enfants de faire une intervention toute la matinée, pour un maximum d'enfants, afin qu'ils puissent eux aussi profiter de ce spectacle en toute sécurité.

Mais Dame Météo n'était pas de cet avis hier matin :


Vu que la situation météo n'évoluait pas depuis 4h du matin (oui je me suis levé tôt), il a fallu se résoudre à laisser le télescope, les lunettes et les sténopés dans la voiture et annoncer à la directrice de l'école que c'était foutu, au moins pour la première partie de l'éclipse. Je reviendrai à l'heure de la récré pour voir si on peut espérer quelque chose en fin de matinée.
Mais là aussi, à 10h30, nada. Le ciel s'était bien obscurci, mais entre gris clair et gris foncé, point de Soleil.

Alors pour que les enfants ne repartent pas frustrés de cette journée tant attendue, les institutrices de CE2 au CM2 ont souhaité que je reste pour répondre aux questions des enfants. Et c'était juste grandiose :-)

A défaut de pouvoir le faire dans la cour de récré pour cause de mauvais temps, nous avons suivi l'éclipse en ligne, sur le site du Pic du Midi, avec l'image projetée sur un écran dans la salle de classe.
Nous avons pu également voir l'ombre de la Lune se déplacer au dessus de l'océan Atlantique grâce aux images satellites de sat24.com. Au passage, je leur ai fait réviser un peu de géographie, ça a fait plaisir aux institutrices ;-)
Crédit : Pic du Midi

Si je fais de l'animation en astronomie en solo, au sein de mon club ou avec astro4u, c'est pour vivre des moments de partage comme celui d'hier matin.
L'astronomie, ce n'est pas un gros morceau de l'enseignement que l'on reçoit. Pourtant que ce soit chez les jeunes ou chez les adultes, la fascination vis à vis de l'Univers est toujours la même et les gens ont des tonnes de questions à poser.
Avec des adultes les questions sont relativement structurées, mais ce qui est génial avec les enfants, c'est que ça part dans tous les sens. Ils ont 1000 idées dans la tête et les sortent toutes en même temps :-)

J'avais donc face à moi 50 gamins et des doigts levés de partout comme rarement une institutrice peut en avoir.

Au début les questions tournaient autour de l'éclipse. C'est l'échauffement, pour eux comme pour moi.
- "D'où on peut voir l'éclipse ?"
- "Ca dure longtemps une éclipse ?"
- "Pourquoi il y a des nuages devant le Soleil ?" Ah, ça, mon garçon, je me le demande !
- "Il se passe quoi si on est sur la Lune et qu'on regarde le Soleil pendant l'éclipse ? On meurt ?"

Gloups... On sent dans cette question toute l'angoisse liée à l'éclipse qu'a généré une communication maladroite et désactreuse de l'Education Nationale sur ce sujet. A répéter partout que c'est dangereux, qu'il faut s'enfermer, alors que des moyens simples et sécurisés existent pour observer les éclipses, on a rentré dans la tête de nos chérubins qu'une éclipse, ben c'est pas bien, ou pire : mortel. 


Vient rapidement une question "classique" : "C'est quoi un trou noir ?"
Non seulement cet objet retient tout, même la lumière, mais il retient aussi toute l'attention des enfants :
- "Et si on tombe dans le trou il se passe quoi ?"
- "Et si on y envoie un robot et qu'on le fait revenir, on ne pourrait pas savoir ce qu'il y a dedans ?"
- "Et si la Terre est avalée par un trou noir, il fera nuit ?"
- "Est-ce que le Soleil va se transformer en trou noir ?"
- "Ca fait quelle taille un trou noir ?"
- "..."

Pour des enfants de 7-10 ans, le niveau et le nombre des questions m'épatent. Les trous noirs ne sont pas dans leur programme scolaire, pourtant l'objet leur semble relativement familier.

Pour l'animateur, toute la difficulté (et l'intérêt de la chose) est de réussir à parler de quelque chose d'aussi abscons et "mathématisé" qu'un trou noir avec des mots ultra simples. Car avec eux ça ne pardonne pas. Si un mot est un poil au dessus de leur niveau, là où des adultes se tairaient par politesse, les enfants ne se gênent pas pour le dire et poser une autre question. Si bien que de question en question, on finit par répondre à quelque chose qui n'a plus rien à voir avec la question du départ.

Bref, dans ce brouhaha de questions sur l'éclipse et les trous noirs arrive mon p'tit gars, là-bas dans le fond, tout timide et qui pose sa question d'une voix toute faible : "Ca a quel goût une étoile ?"

On m'en avait déjà fait des bizarres - à vrai dire les enfants sont champions dans ce domaine - mais celle-ci semblait tout droit sortie ... d'un trou noir. Un ovni. Une chose dont je n'avais même pas supposé l'existence.

Surtout ne pas rire, non, interdit. Le p'tit bonhomme veut vraiment une réponse à sa question et il serait dramatique de se moquer. D'ailleurs, je répète assez souvent lors des soirées astro publiques qu'il n'y a pas de question bête pour ne pas me dérober cette fois-ci.
Les autres élèves de la classe se retournent vers moi et attendent. C'est vrai qu'elle est bonne cette question :-)

Que faire ? Fuir en utilisant l'humour ?
"La fraise, la banane, le potimarron, ..." Si je répond ça ce sera drôle, mais en plus d'être fausse, cette réponse ressemblera pour le poseur de question à de la moquerie. Non.
Donner une réponse a priori correcte ?
- "Ca a un goût de brûlé." Après tout, à 5800 degrés la cuillère de chromosphère, on peut difficilement imaginer que ça ait un autre goût. Mais alors l'enfant va t-il imaginer que quelqu'un a fait l'expérience pour arriver à cette conclusion ? Va t-il la tenter chez lui avec un objet chaud ?

J'ai opté pour une version plus simple, sans mensonge et sans approximation : "On ne sait pas. Personne n'a encore essayé de le faire car la matière d'une étoile, c'est beaucoup trop chaud, on se brûlerait en essayant de l'avaler".
A ma connaissance, aucun olibrius n'a encore fait subir cette torture à ses papilles gustatives. L'hydrogène porté à près de 6000 degrés, c'est vraisemblablement létal.  :-)

Je pense qu'il était content de la réponse parce que j'ai eu un signe d'approbation de sa part et pas de relance avec une autre question. Ouf !

Tout cela a continué dans la joie et la bonne humeur (et le repos pour les institutrices) jusqu'à midi.
- "L'éclipse est finie ?"
- "Oui, l'éclipse est terminée maintenant".
- "Monsieur !! Si l'éclipse est finie, alors on peut regarder le Soleil maintenant ?"

Eh misèèèèèèèreee !!!


A la sortie de la classe, des élèves m'ont remis des dessins qu'ils avaient faits pendant mon exposé. Ils apprenaient à se servir du compas en ce moment. C'était mignon et ça m'a beaucoup touché.


J'aurais pu passer ma matinée dans ma voiture, à la recherche d'un point ensoleillé dans le Nord-Est pour observer l'éclipse dans mon coin.
Mais voir briller des étoiles dans les yeux des enfants qui se passionnent pour l'astronomie, ça valait bien de louper cette éclipse-ci. Après tout j'ai déjà eu l'occasion d'en voir plusieurs, il faut en faire profiter les autres.